Notre leçon zéro pour l’atelier de phonétique FLE / FLI

Imiter la prononciation française dans sa langue maternelle.

Sebastien Palusci - léçon zéro

Voir un exemple vidéo de notre leçon zéro pour ateliers de phonétique.

Nous avons pris l’habitude, lors de la leçon zéro de « jouer avec l’accent français » en guise d’introduction à l’atelier de phonétique. Cette pratique est venue d’une intuition que nous avons eue, non pas en tant qu’enseignant, mais comme apprenant de langue étrangère. Le fait d’entendre des locuteurs de langues étrangères que nous avons apprises s’exprimer en français, et avouons-le, d’imiter leurs productions dans le cadre informel de la salle des professeurs pour plaisanter avec les collègues, a eu, nous semble-t-il, un impact positif sur notre production en terme de prononciation dans ces langues.

1- Pourquoi une telle activité lors de la leçon zéro ?

La leçon zéro de l’atelier de correction phonétique débute généralement par la question: « Que voulez-vous travailler en cours de phonétique ? ».
Cette question est interprétée de deux façons : « Quelles sont vos difficultés ? » ou « Comment vous représentez-vous le phonétisme du français ? ». Les réponses sont presque toujours d’ordre segmental. Rares ont été les réponses concernant la prosodie.

On demande alors aux apprenants de « parler comme un touriste français dans leur propre langue ». Quand les apprenants imitent l’accent français en improvisant, ils procèdent généralement à des réajustements prosodiques.
L’activité proposée permet donc à la fois de leur faire sentir (voire ressentir) ce qu’est la prosodie et d’introduire l’idée que le travail sur la prosodie est un préalable à tout travail de correction des phonèmes.

2- L’enseignant répète une phrase dans la langue de l’apprenant

Les apprenants ne se lancent pas tous spontanément dans l’imitation du touriste français, soit par timidité, soit parce qu’ils n’ont pas de représentation très claire de la manière de prononcer leur LM d’un francophone.
Nous demandons donc à chaque apprenant de traduire une phrase dans sa langue. Habituellement, nous choisissons la phrase : « où est l’aéroport? » ou tout autre énoncé que pourrait produire un touriste. Nous répétons leur production en exagérant volontairement notre accent (même si souvent, s’agissant de langues inconnues, aucun effort n’est à faire pour avoir une prononciation déplorable).
L’enseignant prendra soin de répéter les phrases proposées en respectant le patron rythmiques propre au français : isosyllabisme, enchaînement consonantique et allongement de la syllabe finale notamment.

Le premier objectif de cette activité est de faire descendre l’enseignant de son piédestal, de montrer que toute personne en situation d’apprentissage d’une L2 est soumis à l’influence de sa LM, et ainsi de dédramatiser l’erreur, ce qui est un premier pas d’ordre psychologique vers l’acceptation de la correction.

Par ailleurs, on illustre ainsi la notion de crible, en prenant comme exemple non pas celui de l’apprenant, dont il n’est pas conscient, mais celui de l’enseignant, qui est celui de la langue cible.
L’apprenant, entendant un énoncé dans sa langue maternelle, déformé par la prononciation de l’enseignant, peut percevoir la distance qui existe avec la norme de sa langue maternelle. Un certain nombre de traits saillants sont perçus par l’apprenant. Plutôt que de verbaliser ces traits saillants, nous demandons aux apprenants de répéter, voire de produire des énoncés dans leur langue, en imitant l’accent français.

3- Les apprenants imitent l’accent français.

Il existe deux écueils à éviter pour cette activité. Tout d’abord, certains apprenants ont un peu peur de « vexer » l’enseignant, car ils ont l’impression de se moquer de lui en singeant son accent. Il convient donc d’insister sur le fait qu’on ne « prendra pas mal » leur imitation.

Ensuite, les locuteurs de langues moins fréquentes ou de langues rarement parlées par des locuteurs français (langues non-européennes notamment) n’ont pas d’idée très précise de ce que peut être l’accent français dans leur langue, contrairement par exemple aux anglophones et aux hispanophones, qui ont généralement une bonne représentation de « l’accent français ».

Dans ce cas, nous avons adopté deux options :
– Demander à l’apprenant de produire plusieurs énoncés dans sa langue, qu’on reproduira à chaque fois.
– Dans le cas où les apprenants maîtrisent l’anglais, à plus forte raison si les apprenants l’utilisent dans le cadre professionnel en France, nous avons recours à cette langue. L’accent français en anglais semble particulièrement reconnaissable, et les apprenants s’amusent volontiers à l’imiter.
Notons que cette dernière option peut être discutable et ne recueille pas l’unanimité des enseignants.
De manière générale, il semble toutefois que plus les apprenants ont été en contact avec des francophones parlant leur langue, plus l’activité est pertinente.

Les résultats des imitations sont particulièrement intéressants.

On note que les apprenants respectent bien le patron rythmique du français, qui semble pour eux un trait saillant du phonétisme du français. L’allongement de la dernière syllabe est presque toujours réalisé comme « marque » de l’accent français. De la même manière, la courbe mélodique est souvent mise en valeur (montée dans les aigus en fin d’énoncé notamment). Certains phonèmes, notamment le [ʁ] sont aussi produits, avec plus ou moins de succès.

Par ailleurs, l’attitude générale de certains apprenants change au niveau de la mimogestualité : bouche arrondie ou bouche en avant, mouvement des mains, et parfois dans la manière de placer la voix : par exemple plus « grave » chez les anglophones, plus « aiguë » pour les hispanophones.
Tout se passe comme si, libérés de la gestion des éléments d’ordre lexicaux et syntaxiques, dans un élément qui leur est familier (leur langue maternelle), ils étaient « naturellement » mieux disposés à entrer dans le rythme de la langue cible.

Des travaux (Mimésis et contrôle phonétique : implication pour l’apprentissage d’une langue seconde, Delvaux, Socquet et Harmegnies, 2005) montrent par ailleurs une tendance inconsciente à imiter des traits phonétiques de variantes de notre propre langue lorsqu’on est en contact avec elles. On peut imaginer que les apprenants traitent l’accent dû au crible phonologique comme s’il s’agissait d’un accent « régional » et sont à même de l’imiter.

4 -Ouvertures

Le fait d’imiter l’accent français amuse généralement les apprenants, et l’enseignant pourra les inciter à « s’entraîner » à parler avec un accent français. Ainsi l’apprenant pourra demander à des locuteurs francophones de répéter des énoncés dans sa langue afin de percevoir ces particularités. Il a ainsi une attitude active dans son acquisition du phonétisme du français, d’une manière qu’il peut contrôler plus facilement.
Cette activité est également un préambule à un travail avec des logatomes (dada). Pour en savoir plus sur le travail avec des logatomes, vous pouvez vous référer à l’excellent blog de Michel Billières, Au son du FLE.

Ayant ressenti dans un contexte favorable, celui de leur LM, les particularités rythmiques du français, on effectue une transformation en logatomes (soit une syllabe = da ) d’énoncés dans la LM des apprenants imitant des français. Une fois les étudiants à l’aise avec cette activité, on leur propose de répéter des phrases brèves en français, et suivant le principe qui suit :

1-découpage de l’énoncé en syllabes
2-une syllabe=un logatome
3-retour au découpage syllabique.

Exemples :

Qui est-ce? : [kiii … ɛɛɛs] puis [daaa…daaa] puis [kiii … ɛɛɛs]
Exemple d’énoncés :
1- Il a quinze ans.
2- Elle a six ans.
3- Vous habitez où ?
4- Nous sommes suédois.
5- Nous travaillons à Paris.
6- Qui est-ce ?
7- Vous travaillez où ?
8- Je vous présente Amélie.
9- C’est un ami de Lyon.
10- Vous parlez japonais ?

Il nous semble qu’une telle activité permet à l’apprenant de saisir la place centrale de la syllabe en français, de sa régularité ainsi que du fait qu’elle peut ne pas respecter la frontière du mot. On jette ainsi les bases du travail à venir.

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2 réponses

  1. Ana dit :

    Bonjour, je suis très contente de trouver ce contenu, et surtout une communauté de mordus de la phonétique en général et de la MVT en particulier.

    Je me trouve en Colombie à enseigner le français en Alliance Française. Pour ceux d’entre nous qui nous trouvons dans une situation monolingue cette leçon 0 doit être un peu modifiée.
    1. On peut parler en español avec un accent exageré en français. J’ai une vidéo d’une française qui vit ici et qui a conservé un fort accent.
    2. Je leur demande de faire en binômes une présentation personnelle avec l’accent français. L’intérêt c’est de n’avoir pas à réfléchir à ce qu’on dit, pas seulement parce que c’est en espagnol mais aussi ce qu’on dit.
    3. Je leur parle en français avec un fort accent espagnol de Medellin ou de Bogotá (je me suis entraînée). Ça a un effet comique. C’est du français certes mais avec la prosodie d’une variante régionale d’ici. Ils comprennent qu’il faudra essayer d’imiter “la mélodie” du français.

    J’attends avec hâte la suite!

  2. Christine dit :

    Bonjour,

    Merci pour ces explications et cette vidéo.

    J’ai moi-même constaté, en demandant à mes étudiants d’imiter l’accent français en parlant leur langue, qu’ils imitaient plutôt bien la mélodie du français (de manière naturelle et inconsciente apparemment).

    En faisant le même exercice avec des phrases en français cette fois-ci, ils perdaient ainsi un peu de leur accent étranger. Leur faire prendre conscience de cela peut en aider certains à améliorer leur accent : chercher à imiter un Français peut être parfois plus simple et ne vient pas à l’idée des étudiants qui cherchent plutôt à faire des efforts par rapport au sens de la phrase.

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